Comment se brûler les doigts avec les standards

L'expérience est familière mais toujours aussi agaçante. Après avoir attendu près d'une heure dans l'agence d'un opérateur télécom, l'agent nous informe que notre équipement est désormais opérationnel. De retour à la maison, il n'en est rien : l'équipement en question refuse de fonctionner. Une recherche rapide sur internet révèle qu'il nous reste encore à activer l'appareil, ce que l'agent avait omis de mentionner. Mais l'aventure n'est pas terminée ! La procédure d'activation automatique en ligne se solde par une erreur. De retour à l'agence, la personne à l'accueil refuse de s'intéresser au problème et insiste pour commander un nouvel équipement, avec quelques semaines d'attente supplémentaires. Après un long échange avec le service client il apparaît que l'agent initial n'avait pas correctement suivi la procédure de configuration.

Les schémas classiques du Command & Control

Ces dysfonctionnements ne sont pas réservés aux grandes entreprises. En phase de scale-up, lorsqu'il faut démultiplier les effectifs mois après mois, il est difficile d'éviter la prolifération des erreurs qui dégradent l'expérience client et font grimper les coûts. Plus les équipes s'étoffent, plus la cacophonie ambiante pousse le CEO à se dire qu'il faut industrialiser les activités. C'est le moment d'embaucher un directeur expérimenté, tout droit issu d'une entreprise plus mature, pour "structurer les process" et mettre en place de meilleurs outils.

Pourtant l'agent de notre exemple évolue lui-même au sein d'une entreprise très mature, dans lequel les procédures foisonnent. Il a cependant préféré s'en sortir sans les suivre. De son côté, la personne à l'accueil reste braquée sur le suivi d'une procédure standard, sans prendre le temps de s'intéresser aux questions spécifiques de son client. Leurs conditions de travail sont peu enthousiasmantes, il n'est pas surprenant que les jeunes talents délaissent aujourd'hui les grandes entreprises pour se tourner vers des petites structures.

Pourquoi notre scale-up obtiendrait-elle à terme des résultats différents en appliquant les mêmes recettes ? Comment industrialiser les opérations tout en permettant aux collaborateurs de rester attentionnés et de pouvoir utiliser leur jugeote ?

Les standards en lean

L’astuce du lean consiste à passer du “Command & Control” au “Orient & Support” : plutôt que d'écrire des procédures qui forcent les collaborateurs à faire les choses de telle ou telle façon, il s’agit d’aider chacun à renforcer son autonomie sans perdre de vue l'intention finale et les points clés issus de l’expérience. Cela suppose de penser différemment la notion de standard :

Un standard est ce qui permet à chacun de savoir s’il est dans une situation
normale ou anormale.

De manière générale un bon standard capture trois éléments de manière concise et intuitive :

  • Les points clés de la meilleure pratique actuelle
  • Les erreurs classiques à éviter
  • Pourquoi c’est important

Capturer le savoir de la sorte permet d'encourager la réflexion et l'autonomie des collaborateurs plutôt que de développer leur passivité. C'est un cas de "Orient" car le standard pointe l'attention de la personne sur ce qui est important sans toutefois la contrôler. C'est aussi un cas de "Support" car le standard l'aide véritablement et lui permet de savoir sans ambiguïté qu'elle est en situation anormale et doit réagir et solliciter de l'aide.

Par exemple, un geste clef dans un restaurant est l'accueil du client. Comment capturer les points clefs d'un bon accueil ? L'intention est en premier lieu de donner une expérience positive au client. Cela repose par exemple sur trois points clés :

  • Le client se sent sincèrement bienvenu
  • L’habitué se sent reconnu
  • Le client est satisfait de la place à laquelle il est installé

Les erreurs classiques à éviter :

  • Être trop familier avec des inconnus
  • Être trop formel avec des habitués
  • Placer le client selon les contraintes du restaurant plutôt que ses préférences

Sur la base de ces points clés, l'équipe peut développer et tester une séquence d'accueil :

  1. Sourire sincère (avec les yeux)
  2. Salut adapté
  3. Combien serez-vous ?
  4. Particulièrement pressés ?
  5. Une place de préférence pour vous asseoir ?

De tels standards sont faciles à mémoriser et permettent au serveur de savoir qu'il est dans une situation normale ou anormale tout en lui laissant une grande latitude sur la façon de gérer diverses situations. Et devant une situation anormale, c’est le moment de réfléchir aux particularités du contexte précis.

Une fois les premiers standards réalisés, la tentation est grande de commencer à vouloir en faire pour tout. Les aspects négatifs de la bureaucratie ne sont jamais très loin, aussi il y a quatre pièges à garder en tête.

Un premier piège consiste à capturer des éléments qui ne contribuent pas au succès final. Par exemple indiquer dans le standard qu'il faut placer les clients près des fenêtres est peut-être pertinent dans la majorité des cas, mais cela amènerait les serveurs à perdre la sensibilité du contexte. Quelle est l'envie de ce client particulier ? Fait-il froid à cet endroit aujourd'hui ? Y a-t-il des clients bruyants à la table à côté ? En précisant la finalité (le client content de sa place) plutôt que le moyen (près de la fenêtre), on laisse le serveur réfléchir à la meilleure façon de s'y prendre au cas par cas.

Un second piège consiste à créer des documents pour tout. Cela conduit à des référentiels touffus, qui finissent par être ignorés et ne plus être mis à jour. Puisque l'objectif du standard est de différencier le normal de l'anormal, il est possible de faire preuve de créativité pour trouver des formats concis et pratiques, intégrés à l'environnement de travail. L’exemple suivant illustre une façon de présenter de manière intuitive les éléments OK / NOK pour franchir la sécurité d’un aéroport :

Un troisième piège consiste à forcer l’utilisation du standard indépendamment du contexte. L'accueil du déjeuner n'obéit pas aux mêmes contraintes que celui du dîner. Ce qui fonctionne pour une serveuse ne fonctionne peut-être pas pour une autre. Les besoins d'un débutant sont différents de ceux d'un expert. L'objectif n'est pas de forcer tout le monde à faire la même chose tout le temps, c'est d'aider chaque collaborateur à réussir à son poste. Et comme les contextes et le savoir changent en permanence, le travail de définition et d'amélioration des standards est l'affaire de tous, tout le temps.

Enfin un quatrième piège classique consiste à piloter le respect des standards sans piloter la performance associée. C’est un sujet à deux facettes. D’un côté, suivre le respect des standards permet de s’intéresser aux difficultés rencontrées par les collaborateurs. De l’autre, la tentation est forte de trouver des moyens de forcer le suivi des règles plutôt que de viser l'obtention des résultats, avec les dérives évoquées plus haut. Comment s’assurer que les standards sont suivis de la bonne façon ? En réalité les standards ne fonctionnent qu'au sein d'un système global, qui est celui du TPS. Du point de vue du collaborateur :

  • J'utilise le standard lorsqu'il m'aide à délivrer un travail de qualité, conforme aux attentes du client.
  • J'utilise le standard lorsqu'il m'aide à tenir le rythme qui m'est donné par le kanban.
  • J'utilise le standard si je sais que je peux obtenir de l'aide lorsque je suis en situation anormale et que je me sollicite mes managers.
  • J'utilise le standard lorsque je sais que mes managers m'aident à résoudre les problèmes qui m'empêchent de rester dans une situation normale.
  • etc.

Une autre façon d'industrialiser

Toyota a démontré qu'il existait un modèle d'industrialisation différent de celui dépeint par Charlie Chaplin dans Les Temps Modernes. Plutôt que d’enfermer les collaborateurs dans des séquences figées qui conduisent à des aberrations telles que celles vécues chez l’opérateur télécom, il s’agit d’engager la réflexion de chacun, dans chaque contexte spécifique. Et cela commence par être très clairs sur ce qui constitue une situation anormale.

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