Pour le CEO d’une scale-up, une entreprise en forte croissance, soutenir la croissance consiste à passer constamment d’une facette à l’autre de l’entreprise pour maintenir un équilibre fragile :

  • Finance : maîtriser les coûts sans pénaliser la croissance ;
  • Opérationnel : satisfaire un nombre croissant de clients aux attentes toujours plus variées, avec des équipes en changement perpétuel ;
  • Ventes : tenir des objectifs ambitieux sans trop augmenter les coûts d’acquisition ;
  • Organisation : intégrer les nouveaux employés tout en clarifiant les rôles et responsabilités de chacun, sans que la structure n’empêche une communication fluide à travers toute l’entreprise ;
  • Motivation : maintenir l’implication et l’initiative de tous les collaborateurs au fil des mois alors qu’ils sont de plus en plus éloignés des clients finaux et des dirigeants.

Heureusement, le CEO n’est pas seul devant cette complexité. Dans le schéma typique de l’entreprise moderne, il est entouré de spécialistes à qui il confie chacune de ces facettes : la finance au Chief Financial Officer, les ventes au Chief Sales Officer, les opérations au Chief Operations Officer… et la motivation des troupes au Chief Happiness Officer. Ils sont eux-mêmes épaulés par des consultants spécialisés selon ces différents axes. Chacun s’efforce alors d’apporter des améliorations du point de vue de sa propre perspective et de ses propres objectifs, mais voilà : dans l’organisme que représente l’entreprise, toutes ces dimensions sont intimement liées. Une action sur l’une de ces dimensions peut avoir des effets inattendus sur d’autres.

Prenons un exemple sur le terrain, au sein d’une agence qui réalise des campagnes marketing ciblées sur les réseaux sociaux. Pour tenir les objectifs de croissance ambitieux fixés par la CEO et les investisseurs, le responsable des ventes a mis en place un système de rémunération destiné à motiver son équipe de commerciaux. Ce système leur attribue une belle part variable, calculée et distribuée chaque trimestre sur la base des prestations facturées.

C’est au cours d’une visite auprès des équipes marketing, celles qui délivrent les campagnes pour les clients, que la CEO réalise les effets inattendus de ce système. Un chef de projet lui raconte la journée frénétique de la veille, au cours de laquelle son équipe a dû travailler jusqu’à 23h pour finir une campagne à l’heure. Il demande à ce que de nouveaux recrutements soient lancés pour tenir la charge et prévient la CEO qu’il s’attend déjà à des démissions car ses collaborateurs ont perdu toute motivation. La CEO sait bien que le moral n’est pas au plus haut, mais elle se souvient qu’un mois plus tôt ils avaient constaté ensemble qu’il y avait trop de monde dans cette équipe par rapport au niveau d’activité moyen.

Avec du recul, la dirigeante réalise que le modèle de rémunération conçu par le responsable des ventes crée une variabilité saisonnière. Les commerciaux sont incités à aller chercher les contrats les plus volumineux possibles et tout faire ensuite pour les finaliser en fin de trimestre pour obtenir leurs bonus. Le même scénario se répète alors en boucle pour les équipes de ventes comme les équipes marketing : deux mois très calmes suivis d’un mois d’activité frénétique. Cela affecte l’entreprise sous toutes ses facettes :

  • Finance : le manager en charge des équipes marketing a petit à petit dimensionné ses équipes pour absorber les pics de charge, ce qui fait que deux mois sur trois l’entreprise est en sur-effectifs. Cela pèse sur la rentabilité de l’entreprise et pousse la CEO à enchaîner les levées de fonds. Par ailleurs, les retards pris sur les campagnes allongent les délais de paiement et accroissent les besoins en trésorerie.
  • Opérationnel : les collaborateurs sont poussés à bâcler leurs campagnes pendant les pics de charge, ce qui conduit les clients à se plaindre et demander de nombreuses corrections qui créent encore plus d’agitation et augmentent les coûts. Les chefs de projet passent alors leur temps à refaire les plannings et communiquer les changements.
  • Ventes : les clients insatisfaits finissent par se tourner vers d’autres fournisseurs et donnent à l’entreprise une mauvaise réputation, ce qui rend l’activité commerciale de plus en plus laborieuse.
  • Collaboration : les équipes qui réalisent les campagnes ne voient les commerciaux qu’à la fin de chaque trimestre, lorsque ceux-ci viennent les mettre sous pression pour finaliser les campagnes et émettre les factures. Les relations entre les membres des opérations et les ventes se dégradent rapidement, chacun blâmant l’autre pour les difficultés qu’il rencontre dans son travail.
  • Motivation : selon les périodes, ceux qui réalisent les campagnes ont soit le sentiment d’être inutiles, soit celui de ne pas avoir le temps de réaliser un travail de qualité. Les relations tendues avec les équipes de vente n’arrangent pas les choses. De leur côté, les commerciaux considèrent que la rigidité des équipes opérationnelles les empêche d’atteindre les objectifs que l’entreprise leur a donnés, et qu’ils finissent par considérer inatteignables. Cette situation crée aussi des tensions avec les responsables d’équipes.
  • Et au global pour le CEO comme pour les investisseurs, il est difficile d’y voir clair sur l’état du business car le chiffre d’affaires trimestriel n’est connu que tardivement.

Comment le CHO peut-il rétablir la motivation des équipes dans un tel contexte ? Et le CFO restaurer la marge ? Comment le COO peut-il délivrer les campagnes à un coût global raisonnable ? Dans ce réseau de phénomènes interdépendants, chaque spécialiste fait face à deux risques : voir ses propres actions contrecarrées par des phénomènes qu’il ne contrôle pas, ou bien provoquer des dégâts sans s’en rendre compte.

Pour gérer la complexité d’une entreprise moderne, l’équipe de direction nécessite un cadre de pensée différent – une pensée intégrée qui amène à considérer simultanément l’ensemble des dimensions, de la finance aux opérations en passant par les facteurs humains. Mais une fois ces contraintes prises en compte, comment trouver les rares améliorations qui apportent des bénéfices sur tous ces axes ?

C’est précisément cela qui fait la magie du TPS, le Toyota Production System – l’idéal de production du lean.

Le TPS est un cadre d’analyse éprouvé, un système de principes intégré pour étudier une situation business sous toutes ses dimensions et trouver des pistes d’amélioration qui renforcent la vitalité de l’entreprise prise dans son ensemble.

Dans notre exemple, le sujet central est une question de coordination : il s’agit de faire travailler au même rythme les équipes de vente et les équipes qui créent les campagnes marketing pour les clients. Du point de vue du TPS c’est un sujet de Juste-à-Temps qui amène trois questions :

  • Takt : à quel rythme faut-il vendre et produire ? Si la demande client est estimée à 500 opérations marketing dans l’année, le pouls de l’entreprise doit battre au rythme d’une opération vendue et une opération produite chaque demi-journée. Comment s’approcher de ce rythme idéal ?
  • Flow : plutôt que de planifier l’utilisation des ressources pour piloter des grands lots, comment amener la production vers un flux d’opérations traitées de manière unitaire, l’une après l’autre ?
  • Pull : comment faire travailler ensemble les équipes de vente et les équipes marketing de manière à ce que les vendeurs amènent des opérations au rythme auquel les équipes marketing peuvent les traiter ?

A mesure que l’entreprise se rapproche de cet idéal de Juste-à-Temps, les interactions entre les équipes de vente et les équipes marketing deviennent de plus en plus fréquentes, ce qui renforce la collaboration à travers l’entreprise. Les pics et les creux d’activité sont moins prononcés, ce qui d’une part offre un rythme de travail soutenable aux équipes marketing, et d’autre part permet une structure de coûts plus rentable par une meilleure utilisation de la capacité disponible.

L’autre facette clef est celle du travail individuel et la capacité de chacun à produire un travail dont il est fier. Du point de vue du TPS il s’agit d’un sujet d’auto-qualité (Jidoka). Plutôt que de prendre des raccourcis pour livrer coûte que coûte, chacun est encouragé à “arrêter la ligne de production” lorsqu’il fait face à un obstacle, découvre un défaut ou n’arrive pas à tenir le rythme. Le chef d’équipe lui vient alors en aide pour l’aider à débloquer la situation et trouver comment faire pour que le travail devienne plus fluide. Cela renforce peu à peu la motivation des collaborateurs ainsi que les relations qu’ils entretiennent avec le management. C’est aussi un levier important de réduction des coûts, car les erreurs sont détectées et corrigées très tôt.

Avec un flux d’opérations marketing traitées rapidement et sans défaut, il devient possible d’établir une relation de confiance avec des clients qui achètent régulièrement de nouvelles campagnes. L’activité commerciale consiste alors à construire de nouvelles relations long terme plutôt qu’à remplacer indéfiniment des clients insatisfaits – une façon moins coûteuse de maintenir la croissance du chiffre d’affaires.

Le TPS tire sa force du fait qu’il amène à renforcer l’entreprise sous toutes ses dimensions simultanément – opérations, finance, ventes, collaboration, motivation… mais aussi d’autres dimensions telles que l’innovation ou l’empreinte écologique. Pour cette raison, ramener le lean à des questions d’efficacité des opérations ou à un programme de motivation “bottom up”, ou bien encore le mettre en oeuvre dans une portion de l’entreprise seulement, revient à passer à côté de ce qui fait tout son intérêt. C’est un modèle mental complet et intégré, une botte secrète pour les CEO qui recherchent une croissance soutenue et soutenable de leur entreprise sur le long terme.

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